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24 décembre 2009 4 24 /12 /décembre /2009 16:59

              Mokhis[2]

Son exposition du 28 septembre 2009 au centre culturel français de Nouakchott Antoine de Saint-Exupéry a certainement fait "oublier les douleurs, éteint les vengeances apaisé la colère et étouffé la haine" comme dirait Avicenne. Mais il est surtout une prémonition d’une nouvelle carrière artistique qui se profile à l’horizon plus prometteuse celle-là. Après plus de trente ans d’absence, Mokhis dont les chefs d’œuvre poursuivent leur petit tour du monde pour le plus grand plaisir des collectionneurs de Tokyo à Moscou, de Londres à New Delhi en passant par New York revient à ce lieu au summum de sa maturité.


"Je suis revenu au Ccf mûri d’abord et pas comme je suis venu dans les années 75 où j’étais encore un débutant dans la peinture. Là, je suis devenu quelqu’un de mature qui a compris et qui a fait pas mal de rencontres", confie-t-il à la fin de son vernissage.

Un signe ne trompe pas : Mokhis est arrivé au seuil de sa gloire. Son produit s’expose un peu partout à travers le monde. En ce 28 septembre 2009, c’est donc le grand maître qui est à l’affiche.

Son retour n’est pas fortuit. On parle même d’évènement de la rentrée artistique. Dans le sillage de ses tableaux perchés aux quatre murs du hall d’exposition du Ccf ou aux grillages métalliques servant de supports d’exposition, l’artiste nous replonge dans les décors époustouflants de la danse des arbres, de la cité du savoir, des troupeaux de girafes, des signes du passé et des tanneuses de cuir.


Directement influencé du surréalisme et de l’impressionnisme, l’univers des œuvres de Mokhis est tout aussi magique. Mais, il ne s’arrête pas là. Il ouvre nos yeux sur certaines réalités contemporaines comme la violence, la dictature, la pollution et autres signes de la déchéance humaine.


Au total, 25 tableaux d’une rare dextérité. Il lui a fallu près de trois mois pour réaliser toutes ces merveilles. Un véritable record. Un pari relevé par l’artiste. Toutefois, "ça a été difficile", confesse-t-il. Contrairement à certains artistes qui nous habituent à exposer plus d’une trentaine d’œuvres voire plus, lui, il en a préféré 25 pour certainement sortir de la quadrature de la routine. Et le résultat est assez enchanteur. "Ces 25 tableaux sont des toiles que le public peut apprécier", dit-il.


Ces tableaux plus qu’un reflet de sa personnalité s’interrogent sur la vie, l’histoire et les transformations sociales de notre monde en proie à des bouleversements qui échappent à l’omnipotence de l’homme sur terre. Ils fouillent ou plutôt ressortent jusque dans les moindres détails les drames dérobés du pays et refusent de flirter avec la duplicité et la bêtise humaines. Tel est le sens par exemple du tableau "déchirure" où il fait allusion aux malheureux évènements de 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal.


Témoin de ce drame, Mokhis pose un regard à la fois interrogateur et lucide sur ces évènements où des milliers d’individus y ont laissé la vie. Et tant pis pour ceux qui voudraient en faire une affaire classée. Ce tableau révèle une chose chez lui : qu’il n’a pas d’identité. Et, c’est cela aussi être artiste. Sa voix d’artiste refuse de s’engluer dans les marécages de l’oubli et de l’ignominie pour préserver sa pureté.


Dans ce tableau toujours, il transcende le tabou pour s’approprier cette "déchirure" qui s’est nidifiée au fil des ans dans sa conscience. C’est justement pour "être quitte" avec elle diraient les jeunes qu’il se trempe dans cette boue gluante mais aussi puante. Non, il ne remue pas le couteau dans la plaie mais il insuffle une existence qui lui permet de ne pas oublier. Et c’est là où le tableau possède une dimension pathétique qui, au-delà de son expression, nous replonge dans les drames de la conscience.


"Pour moi, il n’y a pas de différence entre la Mauritanie et le Sénégal. Je pense que c’est un seul pays. D’ailleurs, la preuve en est que je parle le wolof. Je suis même né de l’autre côté du Sénégal (Louga). A ce moment où il y avait cette déchirure c'est-à-dire cette séparation douloureuse, on voyait des mauritaniens déportés vers le Sénégal sous prétexte qu’ils étaient sénégalais alors qu’ils ne le sont pas. Ça me faisait tellement mal qu’il fallait que je fasse ce tableau", raconte-t-il.


Ainsi, il condamne avec ce tableau ce qui s’est passé en 1989 entre la Mauritanie et le Sénégal. Pour autant, il nous apprend à oublier, se surpasser, absoudre et à vivre en harmonie sans quoi cette "déchirure" va perdurer et aura raison de nous.


Dans cette exposition, il a aussi abordé le "dialogue des religions", une façon de dire que "toutes les religions sont les mêmes". "Les gens peuvent vivre ensemble tout en ayant des visions différentes", insiste-t-il.


Dans ses œuvres poétiques et qui invitent au voyage et à la découverte de la sensualité, la femme occupe une place aussi. Elle est choyée. Il ne tarit pas d’éloges envers le sexe faible et nous entraîne même dans leurs conciliabules et leur être. "Les femmes ont toujours un secret. Elles ont toujours une complicité entre elles. Elles parlent toujours de quelque chose qui les concerne elles-mêmes ou soit qui concerne les hommes. Il y a toujours cette complicité entre les femmes que les hommes n’arrivent pas toujours à comprendre", explique-t-il.


Son sens de l’engagement pétille à travers son tableau "peuple soumis" où il prend sa lunette de charpente pour se railler mais surtout montrer que "le peuple mauritanien est toujours là pour applaudir ce qui est là" sans conviction.


Dans son tableau "pollution" et le "surpeuplement", Mokhis tire la sonnette d’alarme pour rappeler à l’humanité toute entière qu’elle est en train de s’acheminer vers sa pure perte en bousillant son environnement assiégé de toutes parts."Les gens sont en train de s’augmenter à une vitesse incroyable. C’est inquiétant pour moi parce qu’à un moment donné je me demande s’il y’aura quelque chose qui va permettre à ces personnes-là de pouvoir continuer à vivre. Il y aura certainement un manque entre autres…", constate-t-il.


Le grand maître avant de nous quitter nous a promis de ne pas rester encore 30 ans sans exposer au Ccf. "Cette fois-ci, c’est fini. C’était une clef qui a été mise à la serrure. La porte est désormais ouverte", dit-il.

  

Babacar Baye Ndiaye

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