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29 juin 2010 2 29 /06 /juin /2010 20:55

Fête de la musiqueIls sont populaires. Ils vocifèrent à cœur de joie leur ras-le-bol sur tous les planchers. Ils ne ratent jamais l’occasion de tirer à boulets rouges sur ce qui ne va pas comme ils disent souvent. Les uns les adulent. Les autres les insupportent. On les accuse à tort ou à raison d’être d’incorrects donneurs de leçons ou de moralité. Mais, une chose est sûre, idolâtrés ou pas, ils sont les plus écoutés par la jeunesse et les plus courtisés. Quel politicien ne voudrait pas se les arracher ?

 

Partout où ils se produisent, on leur tire, à la fin de leur spectacle, le chapeau en signe de respect. Eux, ce sont nos rappeurs. Diam Mint Tekky, Military Underground, Minen Tèye, Number One African Salam, Ewlade Leblade, RJ, Rue Publik…Le talent est bien là. Et, nonobstant, les difficultés qu’ils rencontrent, ils font preuve d’une incroyable pugnacité et d’une foi inébranlable.

 

C’est là que résident vraisemblablement leur dangerosité et leur force. On se méfie d’eux comme de la peste. Leurs vérités se répandent très vite comme une traînée de poudre. Ils osent prendre des positions. On l’a vu avec Ewlade Leblade au sujet du coup d’Etat du 6 août 2008 avant que celui-ci ne rejoigne incognito le camp de Mohamed Ould Abdel Aziz. Leurs opinions sont souvent très critiques envers le gouvernement. Menaces de mort, musellement, censure, emprisonnement, intimidations…Les rappeurs mauritaniens ont bien récolté les fruits de leur engagement politique et social.

 

On a vu même des concerts de Rap dispersés par les forces de l’ordre et qui se terminent en queue de poisson. On peut tout leur reprocher sauf de manquer de tonalité, de perspicacité ou d’engagement. D’ailleurs, leurs textes en témoignent avec tous les risques que cela peut impliquer.

 

"En Mauritanie, il y a toujours un problème de liberté d’expression. S’il y a des groupes qui réussissent, malgré tous les problèmes, à dire ce qu’ils pensent et à ne pas succomber aux tentations, cela veut dire qu’ils sont courageux", déclare Mohamed Demba Diallo, un cadre au Ministère de l’Education Nationale.

 

Les rappeurs ont aussi dû mal à se départir de leur image de raconteurs de bêtises, de propos orduriers et créateurs de tissus de mensonges, de colporteurs et de médisants. Pour certains, les rappeurs peuvent bien s’en passer. Pour eux, il faut assainir le Rap de la médiocrité et de ses scories impures. Sinon, on risque de pousser les portes de l’extravagance à l’excès.

 

"On ne doit pas tenir des propos insultants envers le gouvernement, une personne sans fondement. C’est dangereux. Il faut faire très attention. Quand on prend le micro et qu’on dise : un tel homme politique est un vendu. C’est de la diffamation et en plus on ne respecte pas la personne. Même si c’est vrai, on doit tenir compte de sa famille, de son entourage, de ses enfants, de sa femme…", explique Lamine Sow, étudiant à l’Université de Nouakchott au département de Droit et par ailleurs un inconditionnel de 2 Pac.

 

Le Rap mauritanien est en train de changer…et les mentalités aussi ! Certes, le Rap a toujours été un mouvement revendicatif. Mais, il semble qu’une certaine démence s’est accaparée de l’esprit de nos rappeurs qui excellent à merveille dans la vulgarité.

 

"Les rappeurs qui font cela n’ont rien compris. Ceux qui réussissent à faire passer leur message tout en restant corrects sont à encourager. Quand on chante, on s’adresse à des personnes intelligentes. Si on chante n’importe quoi et n’importe comment c’est comme si on vociférait dans le vent", souligne Daouda Fall.

 

Avant de faire le Rap, nos rappeurs s’abreuvaient goulûment du Rap américain, français, sénégalais…Cela les a fortement influencés d’abord dans leur manière de réfléchir et d’écrire leurs textes qu’ils faisaient dans les langues étrangères comme le français ou l’anglais. Aujourd’hui, on le voit, les rappeurs qui ont plus de côte de popularité, ce sont ceux-là qui chantent dans leur langue maternelle.

 

Pour d’autres encore, le problème est ailleurs. Pour ces derniers, nos rappeurs traînent avec eux un déficit intellectuel criard. Très peu d’entre eux ont fait leur humanité à l’université. Certains personnes vont même jusqu’à douter de leur capacité à être de véritables leaders d’opinion.

 

"Si on ne connaît rien de la vie, on ne pourra pas s’adresser aux gens, prévient Ousmane Traoré. C’est très important que nos rappeurs aient un certain niveau d’instruction pour faire passer leurs messages".

 

Le son de cloche est presque partout identique. Le Rap mauritanien a besoin d’être soutenu pour décoller. Son essor exige la concentration de tous les efforts. "Le mouvement du Hip Hop a besoin de tout le monde pour se développer", lance un rappeur.

 

La question du développement du Rap est loin donc d’être tranchée. Si, on veut qu’il ait une certaine notoriété sur le plan international, affirment certains, il faut qu’il y ait des gens qui investissent de l’argent. Aujourd’hui, ils sont nombreux ces rappeurs-là qui continuent à faire le pied de nez en espérant que le Ciel leur tombe par-dessus leur tête.

 

"Il ne faut pas qu’ils attendent. Il faut qu’il y ait des gens qui permettent aux rappeurs de se développer. Sinon, ça va être compliqué pour eux ! Il faut qu’il y ait des gens qui créent des industries de musique", déclarait Xuman lors de son passage à la fête de la musique du 21 juin 2009 organisée au Ccf de Nouakchott.

 

Aujourd’hui, un constat s’impose tout de même. Certains de nos rappeurs sont presque récupérés par les hommes politiques qui les achètent à coup de millions d’ouguiyas. "Ne laisses jamais un politicien te rendre un service parce qu’un jour ou l’autre tu le lui paieras au prix fort", disait Bob Marley en substance.

 

Une réalité que feignent de tenir en compte la plupart de nos rappeurs. Fruits du mouvement du Hip Hop, nos rappeurs ont aujourd’hui tendance à gommer qu’ils sont avant tout des artistes qui doivent répondre à leurs convictions et aspirations. Dans ce lot, certains d’entre eux ont vendu leur âme à Lucifer. D’autres continuent à résister à l’appât du gain.

Les uns et les autres ne gagneraient pas à s’enfermer dans leurs carcans idéologiques. Car, le plus important, c’est de savoir dans quelle direction se dirige-t-on ?

 

Babacar Baye Ndiaye

 

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