C’est un monument de la musique traditionnelle mauritanienne. Et on l’avait presque oublié et enterré. Sa génération a, certes, fait ses beaux jours mais ce n’est pas une raison de l’enterrer à jamais dans les profondeurs de l’oubli. Pour autant, il demeure toujours un grand maître et un parolier de la musique traditionnelle mauritanienne.
A Kaédi, où il est originaire, il est adulé. C’est un grand maître dans l’art de raconter des histoires populaires. C’est un digne successeur des illustres conteurs des grandes épopées africaines. Il sait composer des poèmes à toute occasion. Mais, il reste surtout, un grand généalogiste.
Son parcours est atypique, à la différence de la plupart de ses grands noms de la musique mauritanienne que le temps a rangés dans les tiroirs de l’histoire, du temps perdu. Aujourd’hui, on fait comme s’ils n’ont jamais été, à un moment donné de leur vie, les représentants de la culture mauritanienne à l’étranger.
Est-ce une raison de les enfoncer à jamais dans l’indifférence, l’insouciance et le désintéressement, comme si de rien était ? N’est-il pas temps que les pouvoirs publics réhabilitent aussi ceux qui ont fait la gloire et les beaux jours de la musique mauritanienne qui a toujours besoin d’eux pour demeurer ce qu’elle a toujours été : pure ? C’est aussi un devoir de mémoire, par respect à leurs contributions au développement de la musique mauritanienne.
Rafa Athié est très peu connu aujourd’hui de la jeunesse mauritanienne. C’est en 1962 qu’il se lance dans l’aventure musicale. Depuis cette date et jusqu’à nos jours, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts. Les mentalités ont énormément évolué, tout comme l’environnement musical. Baroudeur dans l’âme, il quitte sa ville natale, Kaédi, en destination de la capitale sénégalaise, Dakar qui fut à cette époque un grand carrefour d’échanges culturels et artistiques. Ceci grâce à l’impulsion de Léopold Sédar Senghor, un grand homme de lettres et de culture.
Il vécut presque 15 ans dans la capitale sénégalaise. Avec feu Samba Diyé Sall, il forme un duo inséparable et voyage un peu partout dans la sous-région : Mali, Guinée Conakry et Côte d’Ivoire.
Les réprobations et les récriminations de ses parents ne sont jamais parvenues à bout de sa nouvelle passion : devenir artiste-musicien ! Il dut faire face aux tares et préjugés qu’on collait souvent au musicien qui était mal vu dans une époque et une société fortement marquées par le conservatisme. Il finit par prouver qu’avec la musique, on pouvait vivre heureux. Même si, à cette époque, un musicien ne pouvait pas rêver de circuler à bord d’un véhicule rutilant !
Revenu en Mauritanie, après avoir passé à Dakar plus de 15 ans, il travaille à la Sonader de Kaédi et à l’Hôpital National de Nouakchott où il sera garçon de salles jusqu’à sa retraite.
Aujourd’hui, il ne regrette rien de sa carrière musicale. Tout ce qu’il demande, c’est la reconnaissance de la part des pouvoirs publics et notamment le retour de l’ascenseur de la part de ceux avec qui il a cheminé durant de longues années. Autrement dit, rendre à César ce qui lui appartient !
A Kaédi, les hommes politiques, de toutes obédiences, se l’arrachaient comme une pierre précieuse à l’approche des élections. Pour autant, il ne militait dans aucune formation politique. Presque tous les gros bonnets du pays et plus particulièrement ceux de sa ville natale ont sollicité sa voix et profité de sa célébrité.
Durant de longues années, il a côtoyé les grandes personnalités politiques de Kaédi : Youssouf Koita (ancien maire de Kaédi et ancien Président de l’Assemblée Nationale), Abdel Aziz Bocar Bâ (ancien fédéral et ancien directeur de la défunte Air Mauritanie)… Rares sont les hommes politiques de Kaédi avec qui il n’a pas partagé ses intimités autour du thé, d’une discussion, d’un repas.
Tout ce temps se conjugue maintenant au passé. A certains d’entre eux, il ne cache pas sa déception et son remords car ils se sont vulgairement débarrassés de lui comme d’une serpillière en coupant toute relation. Hélas, c’est le sort aussi des musiciens !
Derrière cet homme dépité se cache aussi un homme heureux. Polygame et père d’une vingtaine d’enfants, Rafa Athié est d’un patriotisme débordant. Ce qu’aucun mauritanien n’est parvenu à faire, il l’a réussi : faire rire Maaouiya Ould Sid’Ahmed Taya à l’occasion d’un de ses voyages à Kaédi. D’aucuns s’interrogent encore sur le moyen d’y parvenir.
Cet exploit est encore vivace dans la mémoire des Kaédiens. Tellement que Maaouiya l’a apprécié ce jour-là qu’il lui a remis sa carte de visite. Mais Rafa Athié n’aura jamais le privilège de mettre les pieds à la Présidence de la République pour le rencontrer car les services de sécurité l’ont éconduit.
Ce qui se passe présentement dans notre pays ne le laisse passe indifférent. Il clame à qui veut l’entendre son attachement aux valeurs et principes du mouvement de rectification du 6 août 2008 du Haut Conseil d’Etat dirigé par Mohamed Ould Abdel Aziz. Il ne s’en dérobe pas pour la bonne et simple raison que le général a fait sortir la Mauritanie d’une situation catastrophique.
Lorsque les évènements de 1989 éclatèrent, il se trouvait à Kaédi. On lui fera avaler toutes sortes de couleuvres. Brimades, brutalités, supplices, jaguar, privations de libertés… Toutes ces épreuves inhumaines n’ont pas ramolli ce septuagénaire toujours débordant de vigueur qui continue à égayer son public.
Son seul rêve : voir les différentes communautés du pays vivre dans la paix, l’amour et la fraternité en essayant de transcender leurs divergences et leurs contradictions pour que la Mauritanie puisse progresser !
Par Babacar Baye Ndiaye