Quand les couleurs parlent…Tel est le thème de la dernière exposition de l’artiste peintre Amal Dria. Au total, 15 tableaux. Deux ans de labeur. Ravie, comme si elle venait de se débarrasser d’un lourd fardeau, elle confie, un peu flapie, au lendemain de son exposition, à l’hôtel Halima : " Avant le jour de l’exposition, pendant 15 jours, je faisais un travail de retouche. J’ai eu la fièvre…". Avec parfois, des temps de répit alternant entre manque d’inspiration et sacrifice pour à la fin accoucher des œuvres à la fois philosophiques et révélatrices de sa forte personnalité. Elle semble trouver son style : le cubisme.
La diversité
Pas facile de vivre l’égalité dans la différence. Le mérite d’Amal Dria, c’est qu’elle nous invite à s’y pencher. S’il y a un rêve qu’elle aimerait voir se réaliser, c’est qu’on s’accepte dans la diversité. Dans la différence. D’ailleurs, cette thématique est constante dans ses œuvres qui sont un riche témoignage de sa personne. Ce qu’elle recherche, de prime abord, dans ses tableaux, c’est bien l’harmonie.
Dans la douleur, elle réussit à rassembler plusieurs visages dans un seul tableau ("l’égalité dans la différence"). Question de montrer qu’on peut parfaitement vivre dans la diversité. Ce travail de conscience ne s’est pas fait non sans difficultés puisqu’il exige beaucoup d’orientation, de finesse et surtout de concentration. "J’ai vraiment bloqué…Mon Dieu ! J’ai bloqué jusqu’à ce qu’un ami est venu…", se souvient-elle.
Grâce à lui donc, ami, elle va retrouver le bout du fil. Elle est toujours à la quête de l’harmonie. Une perfectionniste. C’est pour cela que le tableau "Egalité dans la différence" lui a pris beaucoup de temps. Ces tableaux portent les germes d’un stigmate d’un monde en perpétuel mouvement. Un monde où le mal, la méprise et la méfiance ont fini par triompher.
"Qu’on soit de religion ou de coutumes différentes, on est tous pareils. Si je vous gifle, vous allez avoir mal et vice versa. Si je vous trahis, vous allez avoir mal et réciproquement. Si je vous offre un cadeau, vous allez être content et inversement. Donc, avant de faire du mal à quelqu’un d’autre pense d’abord à soi", explique-t-elle.
Une chroniqueuse de la vie
Ce qui est plaisant chez Amal Dria, c’est qu’elle sait capturer les émotions, délivrer des messages et notamment nous faire sortir de la cage de la peur. Tout lui sert de substrat pour ressortir notre vrai être, notre identité, notre vécu : les guerres, les jugements, les contradictions de la société. Une véritable chroniqueuse de la vie. Dans l’un de ses tableaux intitulé "Colère", elle brise le vitre, se sert de son pinceau pour mettre à nu les véritables facettes de la vie humaine.
Tout ce qu’elle peint dans ses tableaux est en relief avec sa vie et son expérience. Elle ne supporte pas la soumission. Révoltée contre la société, elle réussit à faire tomber les masques. Elle prolonge sa vie dans ses tableaux qu’elle transforme en miroir. De même aussi qu’elle se gausse d’une certaine "modernité superficielle". Elle explique : " On soigne tellement son look qu’on oublie de soigner son intérieur, sa personnalité. Il y a un travail sérieux que chacun d’entre nous doit faire pour éviter de tomber dans les erreurs".
Donner du plaisir, de l’espoir de vivre et d’espérer, voilà ce à quoi elle s’efforce dans ses tableaux. Un travail de soi qui exige beaucoup de tempérament et d’ardeur. Elle persiste : "Avec l’amour, le regard et le sourire, on peut donner de la joie à quelqu’un. Pas forcément donner des milliards!". Pour Amal Dria, la créativité doit être le reflet de notre existence.
On ne peut pas tout partager. Mais, il est de ces souffrances-là qu’on partage. Là aussi, Amal Dria fait mouche. De son pinceau, elle met en exergue ses ressentiments, les injustices qu’elle voit, les tensions qui se perpétuent à travers le monde. Le terrorisme, les guerres…Pour elle, ça suffit ! Car, dit-elle, c’est l’humanité qui en souffre toujours. C’est les plus faibles vulnérables qui paient toujours les erreurs des puissants. Pour elle, les damnés de la terre ont droit aussi à l’existence, à la vie, à la joie de vivre…"Quand je vois des enfants qui meurent tous les jours à cause des politiques et des Etats, j’ai mal, dit-elle. Devant une telle souffrance a-t-on le droit de se taire ?".
Envie de liberté
Quand les couleurs parlent…est une invite au ressourcement, au voyage, à la recherche de soi et de la lumière. On y retrouve les traces d’une certaine vie africaine. Par exemple, dans le tableau "L’Afrique en fête", Amal Dria y évoque la manière de vivre des sociétés africaines rythmées entre les ambiances et la joie de vivre.
Des anonymes aussi ont pris place dans ces tableaux. C’est le cas du berger. Elle est fascinée par ce personnage atypique. "Quand on est quelque part, entre les dunes du désert, là où il n’y a personne, il n’y a que le berger qui est là qui cherche les traces des chameaux, des vaches…Et, puis, il les connaît très bien…C’est mystérieux ! C’est quelqu’un qui a un savoir énorme et je crois qu’on doit l’honorer".
Lorsqu’elle crie son ras-le-bol, c’est pour se faire la défenderesse de la femme qu’on assimile souvent, dans nos sociétés, à l’"Esclave du thé". A ceux qui veulent ôter à la femme une certaine envie de liberté et qui voudraient la maintenir dans certains carcans traditionnels, culturels et coutumiers, elle lance : "Laissez la femme vivre, découvrir la vie et voir autre chose que faire le thé. Laissez la femme évoluer". Waouh !
Avant de nous quitter, elle a voulu passer un message : "Si on devient comme les fourmis, soudés et on travaille bien, on pourra construire quelque chose. Mais, actuellement, on est tellement séparés par les coutumes, les religions, l’argent qu’on est devenus comme des planètes dans l’espace".
Babacar Baye Ndiaye