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15 février 2009 7 15 /02 /février /2009 23:11

claudy3-1-.jpgTout Nouakchott attendait depuis très longtemps l’arrivée de Claudy Siar, animateur sur Radio France Internationale (Rfi) de l’émission "Couleurs Tropicales". Cette venue n’a été possible que grâce à Philippe Debrion, directeur du Centre Culturel Français Antoine Saint-Exupéry de Nouakchott, qui s’est personnellement investi pour le faire venir à Nouakchott pour la première fois en Mauritanie. Pendant deux jours (13 et 14 février 2009), Claudy Siar et son équipe ont campé le décor au Ccf pour y enregistrer l’émission "Couleurs Tropicales" qui sera diffusée en début de cette semaine sur Rfi. Sa venue n’a pas pour autant manqué de susciter des lueurs d’espoir dans le cœur des artistes mauritaniens. "Nous ne pouvons pas changer la réalité de la musique mauritanienne", prévient Claudy Siar. Durant son séjour à Nouakchott, le Rénovateur Quotidien en a profité pour le rencontrer.

 

Le Rénovateur Quotidien : Couleurs Tropicales, l’émission que vous animez sur Rfi, existe depuis presque 15 ans. Vous vous êtes rendu presque dans tous les pays francophones d’Afrique sauf la Mauritanie. Pourquoi ce boycott, cette absence ?

 

Claudy Siar : Non, les termes sont très forts ! Il n’y a pas eu de boycott ni d’absence. Maintenant, on ne peut plus dire que je ne me suis pas rendu à Nouakchott. C’est vrai qu’il y a toujours eu un souci. Notre ancien correspondant à Nouakchott, Aziz Guissé, voulait vraiment que l’on vienne. Mais, à chaque fois, il y avait des problèmes politiques. Finalement, on ne pouvait pas venir.

 

Le directeur du Ccf, Philippe Debrion, a tout fait pour que "Couleurs tropicales" soit enregistrées à Nouakchott. Il y avait déjà eu un report. Maintenant, ce n’est pas le cas ! C’est un bonheur pour nous d’être en Mauritanie. C’est un rêve qui se réalise et puis c’est notre mission : être en Mauritanie pour recevoir les artistes, faire entendre au monde ce qu’est la réalité des artistes mauritaniens et donner le parfum des musiques mauritaniennes aux auditeurs de Rfi.

 

Le Rénovateur Quotidien : Certainement, vous avez entendu les artistes mauritaniens se plaindre du manque de soutien, de structures, de production, de visibilité internationale…Dans ce sens, allez-vous contribuer, ne serait-ce que symboliquement, à l’évolution de la musique mauritanienne ?

 

Claudy Siar : Je vais être très clair ! Nous ne pouvons pas changer la réalité de la musique mauritanienne sauf peut-être ce que l’on peut dire, les échanges que l’on peut avoir avec les uns et les autres, les artistes qu’on aura rencontrés et que l’un d’entre eux ou plusieurs pourront avoir, grâce à nous, l’opportunité de trouver une maison de disques probablement.

 

Mais, on ne peut pas changer la réalité parce qu’elle est ce qu’elle est, à cause des problèmes d’infrastructures, du manque de professionnalisme de certains, à cause aussi peut-être du ministère de la Culture qui n’a pas encore suffisamment entendu les plaintes de tous les créateurs, de tous les artistes pas seulement ceux qui font de la musique mais ceux qui également sont plasticiens, cinéastes, comédiens et autres.

 

Je pense qu’il serait prétentieux de penser qu’on puisse changer les choses. Notre présence à Nouakchott peut donner un peu d’énergie à certains, aux artistes pour mieux comprendre leur métier, du fait qu’on les a mis en lumière durant le temps de la présence de "Couleurs Tropicales" à Nouakchott en prenant conscience, malgré leurs petits moyens, de ce qu’ils peuvent faire…

 

 

Le Rénovateur Quotidien : Pour vous donc, les artistes mauritaniens ne doivent pas tout attendre de vous ?

 

 

Claudy Siar : Non ! Evidemment que non ! Ce serait prétentieux de penser que je puisse apporter la vérité aux autres. En plus, je ne connais pas complètement les réalités que vivent les artistes mauritaniens. Ils savent mieux que moi ce qui ne va pas et n’ont pas besoin de moi pour le savoir. Le fait qu’on soit là, d’enregistrer l’émission "Couleurs Tropicales" en public avec autant de monde, c’est juste un coup de pouce.

 

J’aime comparer ce que nous faisons à Nouakchott avec ce fabuleux espoir que nous a donnés Barack Obama par son élection. Il ne va pas venir changer la réalité des gens. Mais, le fait qu’il ait été élu nous donne une énergie supplémentaire, nous booste dans nos espoirs, dans notre volonté légitime de changer les choses. Et, c’est ce que, nous, à notre modeste niveau, pensons pouvoir faire en Mauritanie.

 

 

Le Rénovateur Quotidien : Dans un pays comme la Mauritanie où le retard musical est énorme, que faut-il faire pour qu’il y ait un véritable déclic ?

 

Claudy Siar : Cela dépend de tellement de choses. Je pense aussi que c’est être là au moment où il faut rencontrer les gens. Il y a des détonateurs parfois. Comme par exemple lorsqu’un peuple en a assez avec la réalité qui perdure, lorsqu’un milieu artistique se dit : "Ecoutez, on en a marre ! Ça suffit, il faut faire quelque chose!" Je crois aux synergies et au moment dans la vie où l’on peut faire des choses. Il y a aussi des moments où ce n’est pas le moment. On a parfois raison d’avoir raison très tôt. Il y a un temps pour tout !

 

Je vais vous citer une phrase d’Abraham Lincoln qui disait : "On peut tromper une partie du peuple tout le temps et tout le peuple une partie du temps mais on ne peut pas tromper tout le peuple tout le temps". Alors, il y a un moment donné où les choses vont changer. Les choses changeront aussi pour les artistes mauritaniens. Mais, les clefs sont entre les mains des uns et des autres. Il faut qu’il y ait une volonté très forte de changement.

 

Le Rénovateur Quotidien : N’avez-vous pas peur de décevoir les mauritaniens qui croient en vous et qui pensent que vous pouvez changer les choses d’un coup de baguette magique ?

 

Claudy Siar : Evidemment ! C’est pour cela qu’il faut être honnête et ne pas laisser croire aux gens qu’on va changer leur vie. Mais, en revanche, le fait d’être là, encore une fois je le répète, le fait de se parler, de dire que c’est possible est important…Mais, les clefs, ce sont les mauritaniens qui l’ont. Moi, je vous apporte juste de l’énergie, quelques façons de faire, vous montrer la piste à prendre… Malheureusement, c’est tout ce que je peux faire !

 

Le Rénovateur Quotidien : Couleurs Tropicales est devenu un baromètre de la musique africaine. Aujourd’hui, quelle lecture en faites-vous ?

 

Claudy Siar : Pour moi, il n’y a pas une musique africaine mais des musiques africaines. C’est très important ! Evidemment que nos musiques évoluent. Ce qu’il y avait dans les années 1980 ne ressemble plus à ce qu’il y a aujourd’hui. Puis, le fait que nos musiques populaires soient toujours aussi populaires auprès des peuples signifie qu’elles évoluent, qu’elles correspondent au quotidien des gens.

 

D’un autre côté, il y a de plus en plus de difficultés pour les artistes d’Afrique à trouver des maisons de disques à l’international, à vivre décemment de leurs œuvres. Le piratage et autres contrefaçons sévissent de plus belle. Alors, c’est très compliqué. Dans le même temps, les artistes n’ont jamais aussi bien créé. Ils n’ont jamais été aussi proches du peuple. Qu’il s’agisse des artistes qui font de la musique traditionnelle comme par exemple en Mauritanie ou du couper-décaler en Côte d’Ivoire…

 

Le Rénovateur Quotidien : Est-ce qu’il n’y a pas aussi une volonté délibérée de tuer toutes ces musiques africaines-là au niveau de l’industrie musicale mondiale ?

 

Claudy Siar : De toute façon, l’industrie du disque veut toujours tuer les "industries indépendantes". Aujourd’hui, les majors compagnies cherchent à investir ou à s’approprier ce qu’on appelle les "musiques de niche" qui sont des musiques destinées à des couches très spécifiques qui génèrent de l’argent. Lorsqu’elles n’arrivent pas à obtenir ce marché-là, elles peuvent trouver toutes sortes de biais pour occuper le terrain. Là, on est plus dans une guerre économique. C’est comme par exemple une compagnie aérienne. À un moment donné, il y a de l’agressivité dans sa politique commerciale pour gagner de plus en plus de marché quitte à faire du mal aux compagnies locales ou aériennes.  

 

Le Rénovateur Quotidien : Avez-vous toujours eu à l’esprit que l’animateur, parallèlement à son rôle de faire plaisir, devait aussi avoir un rôle beaucoup plus engagé sur certains sujets comme par exemple politiques, sociaux… ?

 

Claudy Siar : Je pense qu’aujourd’hui, au regard de la situation de l’Afrique, dans ce drôle de bain de l’occidentalisation dans lequel l’Afrique a été plongée, qu’il est important que chacun d’entre nous soit militant. Le président Tabo M’Béki disait en 1998 qu’un véritable africain est un combattant, un militant pour son continent. Je pense qu’on ne peut pas être autre chose sinon ce serait être complice de ceux qui commettent des crimes contre l’Afrique qui ne sont d’autre que les grandes instances dites internationales (Banque mondiale, Fmi, Onu….), des instances nées pour asseoir le pouvoir de l’Occident sur les pays dits du tiers-monde.

 

Sur l’Afrique, l’évidence est là : elle est devant nos yeux. L’Afrique est quand même un continent où des religions sont venues avec les conquêtes, l’esclavage, la colonisation, donc, des religions qui ne sont pas les nôtres et que nous avons adoptées. L’Afrique est abreuvée de toutes les cultures occidentales qui oppressent ses propres cultures. L’Afrique est un continent, dans une partie en tout cas, où l’on donne aux enfants des prénoms occidentaux et l’on oublie les prénoms ancestraux.

 

L’Afrique est un continent où bon nombre de nos femmes ne voient leur beauté qu’à travers les canons de beauté occidentaux (dépigmentation, tissage…). L’Afrique subit une agression d’une extrême violence et ses enfants ne comprennent pas qu’ils doivent la sauver en œuvrant dans le domaine qui est le leur. Quel que soit le niveau où l’on se situe, il est important de s’engager pour l’Afrique parce que chaque jour, des êtres humains, qu’ils soient d’Afrique ou pas, lui arrachent l’écorce de sa dignité, l’écorce de sa vérité, l’écorce de son humanité. Chaque jour, on arrache l’écorce de l’arbre de l’Afrique.

 

Le Rénovateur Quotidien : Est-ce qu’aujourd’hui vous vous sentez redevable au continent africain, d’où ce discours que vous tenez ?

 

Claudy Siar : Je ne suis pas redevable ! C’est tout simplement parce que c’est mon continent, c’est l’histoire de mon peuple. Je suis né au sein d’un peuple qui est né dans les fers de l’esclavage : ce sont les africains des Caraïbes, de la Guadeloupe pour être précis. Le socle de notre identité, c’est l’Afrique. Après, il y a par-dessus tout cela, de l’indianité, de l’européanité….

 

Lorsqu’on voit que notre continent est dans un tel état, lorsque moi je vois que mon continent est dans un tel état, est-ce-que je dois faire comme si de rien n’était parce que je vis en Europe ? Je serais complice d’un crime contre l’Afrique si je ne fais rien. Les prénoms (Keyla et Nidiaye) de mes enfants sont des références à l’Afrique. Moi, je ne veux pas oublier !

 

Le Rénovateur Quotidien : Vous êtes le créateur du concept "Génération Consciente". A partir de quoi, ce concept a germé ?

 

Claudy Siar : C’est un état d’esprit ! Quel que soit notre milieu social ou notre âge, on doit pouvoir être conscient de la société dans laquelle on vit, de ses fonctionnements, de ses tares et de ceux qui en veulent à cette société-là. Lorsqu’on est conscient de ça et lorsque dans sa vie on fait quelque chose pour essayer de changer les choses, on appartient à cette "Génération Consciente" qui est une communauté de penser et d’action.

 

 Le Rénovateur Quotidien : Vous êtes connu aussi pour vos positions très courageuses voire déplaisantes. Ne vous arrive-t-il pas d’éprouver des craintes pour votre carrière, votre avenir, votre personne ?

 

Claudy Siar : Ma carrière a reçu beaucoup de coups à cause de mes engagements. Cela ne m’a jamais empêché de vivre de mon métier puisque j’ai toujours fait beaucoup de choses pour que l’autre comprenne que même s’il me prive de boulot, je pourrais continuer de vivre. Souvent, on vous tient par le côté économique de la chose. On veut vous montrer que si tu ne te tais pas tu vas perdre ton gagne-pain, tu ne pourras plus élever tes enfants. Avec moi, ça ne marche pas.

 

J’ai toujours compris que je devais montrer à l’autre que je suis indépendant pour continuer à pouvoir dire ce que je dois dire. Evidemment, ça me coûte très cher même au sein de Rfi. Ce n’est pas simple d’avoir un discours comme le mien et d’être accepté par ses supérieurs. C’est peut-être aussi pour cela que je voulais avoir ma propre radio qui existe depuis un an et demi. Alors, ça crée des jalousies chez certains de mes collègues.

 

Le Rénovateur Quotidien : Est-ce que vous assumez le fait d’être une personne engagée quel qu’en soit le prix à payer ?

 

Claudy Siar : Ah, oui ! Mais, je ne me considère pas comme une personne engagée. Je me définis juste comme quelqu’un qui est conscient du monde dans lequel il vit. Alors, j’ai deux choix : ou je fais comme si je ne voyais rien. Là, c’est terrible, je vais mourir mal avec des aigreurs d’estomac. Ou alors, je me dis, c’est la réalité dans laquelle je vis et je dois faire quelque chose pour changer cette réalité afin que mes enfants n’aient pas besoin de mener les combats que je mène dans l’espoir que les générations futures aient peut-être un monde meilleur.

 

C’est complètement utopique, fou d’ailleurs ! Mais je me dis que d’autres avant moi, des anonymes, ont donné leur vie, leur temps, leur énergie pour que des choses changent. Je pense à tous les anonymes durant l’apartheid qui se sont fait torturer dont l’histoire n’aura jamais retenu les noms. Je pense que durant la colonisation, il y a des gens qui se sont battus et qui sont morts dont l’histoire ne retiendra jamais le nom.

 

Le Rénovateur Quotidien : Justement au sujet de monde meilleur, quel regard avez-vous de l’émigration clandestine des jeunes africains vers l’Europe ?

 

Claudy Siar : Je réfute la terminologie "émigration clandestine". Il n’y a que des êtres humains ayant connu le colonialisme et le néocolonialisme qui veulent aller chercher ailleurs une vie meilleure parce que les systèmes politiques sont incapables de trouver les bons mécanismes pour subvenir à leurs besoins. Pour moi, donc, il n’y a rien de clandestin. Il ne faut jamais oublier que des européens, après des conquêtes, sont partis aux quatre coins du monde, ont pris la terre des Aborigènes d’Australie, celle des Maoris en Nouvelle-Zélande, des peuples amérindiens d’Amérique du Sud, du Nord, des Caraïbes. Ils ont souvent exterminé des peuples pour leur prendre leurs terres. Comment se fait-il qu’aujourd’hui on dénie le droit aux africains d’aller aussi chercher ailleurs une terre plus prospère ? Donc, pour moi, il n’y a pas d’émigration clandestine!

 

Propos recueillis par

Babacar Baye NDIAYE

 

 

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