Le théâtre comme cheval de bataille. Dans sa pièce de théâtre, "La mémoire assiégée" qu’il a présentée, ce mercredi 13 octobre 2010, au Centre Culturel Français de Nouakchott, l’ivoirien Fargass Assandé s’élève contre le despotisme, la dictature, les injustices sociales, les violences électorales, la haine, les mensonges de la classe politique africaine, la cherté de la vie, la misère, la pauvreté…
Cette pièce de théâtre est marquée par l’oppression et la frustration. Il se sert de l’humour pour tourner en dérision ceux qui incarnent le pouvoir en Afrique ainsi que les forces armées. Chez lui, la justice et la démocratie ne sont pas de vains mots.
La rhétorique de la mise en garde, Fargass Assandé s’y connaît parfaitement. "Le marteau, très souvent, retombe sur les orteils du plus habile charpentier", dit-il. Fargass Assandé est une "pétale de la liberté" comme il l’aime à le revendiquer. Dans son spectacle, "La mémoire assiégée", il replonge le spectateur dans une situation de guerre dans un pays anonyme.
Une œuvre prémonitoire
La pièce de théâtre, "La mémoire assiégée", a été écrite en 1998. Juste, une année, avant le renversement de Henri Konan Bedié. Cette œuvre s’inspire de la situation de guerre qui a prévalu au Libéria, en Sierra Léone, au Congo, au Rwanda…des pays qui ont sombré dans le chaos. En écrivant cette pièce de théâtre, Fargass Assandé ne s’imaginait même pas que son pays, la Côte d’Ivoire, allait connaître le même destin que ces pays-là. Ainsi, à travers cette pièce de théâtre, il veut montrer que nul n’est épargné par les soubresauts de la vie. Et c’est là où réside tout l’intérêt de cette œuvre qui parle à toute l’humanité entière.
"Les germes qui créent le bordel dans les Etats africains sont identiques d’un pays à un autre. C’est les hommes qui changent mais le mécanisme est le même : comment est-ce qu’on peut opposer les membres d’une même communauté ? Comment peut-on envenimer les rapports entre eux ? Comment peut-on les pousser à saturation pour qu’ils se tapent dessus ?...", explique-t-il.
"C’est nous qui fabriquons nos propres dictateurs"
Porte-parole des mondes perdus, Fargass Assandé partage, dans cette œuvre d’anticipation, ses angoisses, ses inquiétudes et ses interrogations. Et, au passage, il n’épargne pas les hommes politiques. "Tous les hommes politiques, blancs, noirs, jaunes sont à la base des misères de la planète. Il n’y en a pas un seul, de l’Afrique en Asie, de l’Asie en Europe, de l’Europe aux Amériques, qui est, pour moi, un exemple, qui est exempt de reproches. Même le plus intelligent, lorsqu’il accède au pouvoir, il perd tout contrôle", dit-il.
Dans cet enchevêtrement de culpabilisation, le peuple à qui il reproche son manque de sursaut n’est pas non plus épargné. "Nous sommes les auteurs de tous nos dictateurs, rappelle Fargass Assandé. Ils ne tombent pas du ciel et Dieu ne fabrique pas non plus des dictateurs. C’est nous qui fabriquons nos propres dictateurs. Chaque peuple a le chef qu’il mérite".
La Côte d’Ivoire, où il est né en 1962, s’est engagé dans un processus de retour à la paix et à la réconciliation nationale. Mais, Fargass Assandé se refuse à tout optimisme béant. "Je veux espérer mais en même temps en voulant espérer j’ai peur. Car, comme dans beaucoup de pays, la même erreur se commet : le règlement des litiges se passe entre personnalités politiques, entre colonisateurs, entre tous ceux qui, en réalité, n’ont pas perdu aucun parent dans l’histoire. On oublie les populations qui ont subi des pertes en vies humaines, qui ont eu leurs biens saccagés et qui n’ont plus de vie", confie Fargass Assandé.
La pièce de théâtre, "La mémoire assiégée", se veut ainsi un message de concorde, de paix, de réalisme à l’endroit de toute la jeunesse du monde entier en faveur d’un "monde métissé" mais aussi un appel destiné à lutter contre l’oubli.
Babacar Baye Ndiaye