Vingt trois ans après sa sortie en avril 1989, à Paris, Yamen Yamen, l’unique et seul album de Tahra Mint Hembara, s’écoute toujours avec beaucoup de délectation, de questionnement et d’étonnement. Yamen Yamen, le premier album international de la musique mauritanienne, c’est l’album qui a lancé Tahra Mint Hembara.
A l’époque, jeune femme affriolante, pleine de grâce et de volupté, la sorcière de l’ardine n’était à peine âgée que de 28 ans. Dans ses nombreuses photos de cette époque, on la voit poser, silhouette longiligne, avec Alpha Blondy, Mory Kanté, Touré Kounda, Baba Maal, Boncana Maiga…Des instants inédits qui laissent deviner aisément une carrière musicale bien remplie de gaieté, de succès, de belles rencontres.
Dans cet album, on y retrouve la touche très particulière de l’ingénieur de son du titre "Ne me quitte pas" de Jacques Brel, le très célèbre violoniste de jazz français Didier Lockwood, le groupe de Jazz-rock fusion québécois UZEB, Jean-Philippe Rykiel, David Bowie.
Le succès se dessine. Tahra Mint Hembara est dans l’air du temps. Le Monde, Le Nouvel Observateur, Elle, Libération lui consacrent des pages. Dans la foulée, les animateurs de télévision et de radio comme Frédérick Mittérand, Jacques Chancel et José Arthur s’arrachent aussi Tahra Mint Hembara, cette "mauresse avec un magnifique voile qui manie la langue de Molière et pleine d’humour". Sur sa route aussi, Tahra Mint Hembara rencontrera Jack Lang, l’académicien français Alain Decaux, Jean Louis Borloo…
La promotion de cet album de 8 titres, produit par Starforce de la Maison de disque française Pathé et distribué par EMI, coïncide avec les évènements de 1989 entre le Sénégal et la Mauritanie. A cette époque, elle avait comme attaché de presse, Jean Pierre Corréra, un sénégalais d’origine.
Elle se trouvait en Côte d’Ivoire pour la promotion de son album. "En Afrique, nous avons des situations plus urgentes à régler comme les maladies, l’analphabétisation, la pauvreté, l’avancée du désert. En conséquence, nous devons nous entraider que de nous entretuer ou vivre en autarcie par rapport aux uns et aux autres", déclare-t-elle en substance sur les ondes de Radio France Internationale (RFI).
Ses appels à la cessation des violences et de l’honneur lui vaudront des critiques acerbes et une stigmatisation déchirante de la part de sa propre communauté. "On me téléphonait de partout. On m’insultait. On ne m’a pas fait de cadeau", dit-elle. Elle est déclaré "traitresse de la Nation", parce qu’elle "préfère le Sénégal à la Mauritanie", qu’elle se batte pour les Négro-Mauritaniens.
Ces attaques sur sa personne n’arrêteront pas sa détermination ni son ascension sur le toit de la World Music. Excommuniée par les siens, Tahra Mint Hembara se consolera avec sa musique, la réussite de son album qui a été vendu en Europe, aux Etats-Unis d’Amérique, en Chine, au Japon. "Cet album continue à me nourrir", souligne Tahra Mint Hembara.
Son élan sera brusquement arrêté par une opération chirurgicale, faite à Paris, dans la clinique de la Muette, dans le XVIe arrondissement parisien, où Carla Bruni-Sarkozy a accouché d'une fille. "Personne ne donnait chère de ma peau. J’y suis restée pendant 4 mois. Mais, moi, je suis battante", se souvient Tahra Mint Hembara. Cette parenthèse a éclairé la lanterne de sa vie. Et, une vingtaine d’années plus tard, elle est toujours là, à nous faire plaisir, grâce à son moral d’acier. Aujourd’hui, cette farouche défenderesse de l’Ardine s’est décidée à revenir en force sur la scène musicale avec la sortie de son deuxième album que l’on attend avec beaucoup d’impatience.
Babacar Baye NDIAYE