Sur scène, il est si croustillant qu’on a qu’une seule envie : le dévorer ! Babacar Niang, alias Matador, est membre du groupe de Rap sénégalais Wa Bmg 44. Rencontre avec celui qui est considéré aujourd’hui comme celui qui a injecté du sang neuf au Rap sénégalais en déperdition.
Le Rénovateur Quotidien : Vous étiez en Mauritanie dans le cadre de "Assalamalekoum Hip Hop Festival". Quel a été votre impression de ce que vous avez vécu et ressenti au sujet du Rap mauritanien ?
Matador : C’est une bonne impression que j’ai eue sur le Rap mauritanien. Cela m’a ramené très loin en arrière. J’ai vu quelque chose que j’avais l’habitude de ne voir qu’en Europe, aux Etats-Unis ou au Sénégal. Ce que j’ai pu voir prouve bien que le Hip Hop est présent en Mauritanie. A tous les "hip-hopeurs" mauritaniens qui ont réussi à imposer la culture Hip Hop en Mauritanie, je leur dis : chapeau bas! Ils le méritent. C’était vraiment grandiose. Ce que j’ai vu durant ce festival montre que les rappeurs mauritaniens n’ont rien à envier aux autres pays de la sous-région.
Le Rénovateur Quotidien : Avez-vous été surpris par les rappeurs mauritaniens ?
Matador : Non, pas surpris ! J’ai eu l’occasion de découvrir certains rappeurs mauritaniens avant de venir à Nouakchott. Je connais Waraba, à travers le collectif "AURA". J’ai suivi aussi beaucoup de ses spectacles. Il y a le groupe de Rap "Minen Tèye" qui a enregistré son dernier album (Moro-itanie, Ndlr) à notre studio. D’ailleurs, nous avons fait un duo ensemble. Je connais aussi "Military Underground" que j’ai croisé durant les "Hip Hop Awards". Ils ont fait une très belle prestation. Ce n’était pas évident puisqu’il y avait des calibres du mouvement du Hip Hop sénégalais.
Le Rénovateur Quotidien : Pour vous donc, le Rap mauritanien peut bien tirer son épingle du jeu ?
Matador : Je persiste encore : le Rap mauritanien n’a rien à envier à celui des autres pays africains. C’est vrai que le Hip Hop est né aux Etats-Unis d’Amérique. Mais, voilà, elle est devenue une culture universelle. Il y a des rappeurs africains qui rappent mieux que les rappeurs américains. Donc, on n’a rien à les envier. C’est au niveau seulement des infrastructures et de développement que la différence se ressent. Ces rappeurs sont, contrairement à nous, dans de bonnes conditions matérielles. Toutefois, sur le plan artistique, sur le plan de l’engagement, il faut s’interroger si on ne les dépasse pas. Personnellement, je suis fier du Rap mauritanien.
Le Rénovateur Quotidien : Vous êtes connu par vos textes très engagés. Avez-vous ressenti un certain engagement dans le Rap mauritanien ?
Matador : Je ne suis pas surpris. Non plus, je ne suis pas déçu. Toutefois, aux Etats-Unis, en France ou au Sénégal, les chaînes de télévision ont fait que beaucoup de rappeurs ont dévié du chemin. Ils cherchent à être populaires et à gagner de l’argent. Ils ont cessé d’être engagés. De ce fait, le Rap a perdu de sa valeur. Le Rap est devenu un produit commercial. Etant africain, on ne peut pas se permettre de chanter pour faire danser ou faire bouger les fesses. On doit chanter pour changer les consciences et les mentalités. On ne doit pas se comparer aux rappeurs américains. Ils ont tout. En Afrique, on a encore des problèmes à régler. Il y a des questions à poser par rapport à la politique, à la société, à l’économie…On ne doit pas ignorer tout cela comme si de rien n’était. Je n’insinue pas que tout rappeur doive être engagé. Mais, aussi, je dis qu’en Afrique, on doit être plus engagé. Le Rap, à sa naissance, c’était pour lutter contre l’injustice et pour qu’il y ait l’égalité. Il y a d’autres musiques pour s’amuser.
Le Rénovateur Quotidien : Autrement dit, une culture où le bling bling n’a pas sa place ?
Matador : Le bling bling a bien sa place dans le Rap si on comprend qu’est-ce que cela représente. Le fait de voir Jazy (rappeur américain, Ndlr) porter des bling bling, cela signifie qu’un jeune du ghetto peut partir de rien pour parvenir au sommet. On enchaînait les esclaves. Ce sont leurs petits fils qui ont transformé ces chaînes-là en bling bling. C’est à partir de là qu’on peut être fier de porter des bling bling. Porter des bling bling pour frimer, je ne suis pas d’accord. Un Jazy qui porte des bling bling, c’est une fierté pour un noir. Comme un Obama qui devient Président des Etats-Unis d’Amérique. Jazy est un jeune du ghetto qui est devenu milliardaire. Il l’est devenu grâce à la culture Hip Hop. Là, il a le droit de porter des bling bling.
Le Rénovateur Quotidien : Vous êtes très critique à l’endroit de la société et surtout des pouvoirs publics sénégalais. Peut-on savoir pourquoi ?
Matador : J’habite à Thiaroye (banlieue de Dakar, Ndlr), un des pires ghettos du Sénégal. Là où vous prononcez ce nom, on vous regarde bizarrement. C’est de là-bas que je viens. Je ne suis pas drogué. Je ne suis pas un délinquant. Comme tous les autres jeunes, j’essaie d’apporter quelque chose à mon pays, de contribuer à son développement…Je vis avec des gens qui meurent de faim. Je vis avec des gens qui, durant l’hivernage, deviennent des sans-abri à cause des inondations. Ils habitent dans les camps militaires. Je vis avec des gens qui prennent des pirogues pour aller en Europe. Je vis chaque jour avec la misère et la galère. C’est ça qui fait que je ne peux pas me comporter autrement que de dire à nos dirigeants de revoir leurs politiques. Ce n’est pas normal actuellement dan ce monde qu’il y ait des gens qui meurent de faim pendant que d’autres roulent sur du diamant. C’est injuste. Je lutte pour combattre cela.
Propos recueillis par
Babacar Baye Ndiaye
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