L’histoire de Diam Min Tekky ressemble à une histoire romanesque. En 1997, des blancs-becs qui ont pour noms Mar Ba, Ousmane Sow et Lamine Cheikh Ba, et qui n’ont aucune instruction poussée, décident de mettre sur pied leur propre groupe de Rap : DIAM MIN TEKKY ! A la même année, le groupe, boosté par un idéal d’honneur, de fraternité et de justice, enregistre son premier morceau en studio «Stop à la drogue ! ». Avec ce morceau pavé de conseils et fait pour rappeler à la jeunesse mauritanienne les risques qu’elle encourt en s’y adonnant, Diam Min Tekky annonce les couleurs et montre qu’il veut s’imposer sur la scène du rap en Mauritanie.
Du coup, le groupe enchaîne les tournées à l’intérieur du pays, devient le symbole de la lutte contre l’injustice en Mauritanie, porte les aspirations et les déceptions d’une jeunesse en quête de reconnaissance et participent aux «Concerts forum » organisés par le centre culturel français Antoine de Saint-Exupéry de Nouakchott. Les nouveaux phénomènes de scène venus injecter du sang neuf au rap mauritanien sont même sollicités quelques fois par les pouvoirs publics et notamment par des organismes internationaux tels que l’Unicef dans le cadre de ses sensibilisations sur le sida.
En 2004, les Che Guevara du rap mauritanien participent aux albums d’AMD (Noble Art) et celui de Monza (Président 2 la rue Publik) ainsi qu’à la compilation «Art de la RIM » qui regroupe quelques noms de la crème Hip Hop en Mauritanie. L’année suivante, en 2005, ils participent à la Mixtape «Egotrip and Scratchness » du disc jockey sénégalais de Pee Froiss Gee Bayss.
Diam Min Tekky acquiert très vite de la notoriété et les trois jeunes qui le composent font parler de plus en plus d’eux. Ce n’est donc pas surprenant de les voir élus triomphalement sacrés lauréats du concours de rap du centre culturel français de Nouakchott. Le groupe réussit très rapidement à séduire le public toujours avide qu’on lui crache des vérités crues à la figure. Très engagés sur le front social et politique, ils n’hésitent pas à canarder à boulets rouges sur les pouvoirs publics qui voient en eux des jeunes «subversifs » qu’il faut donner de bonnes fessées.
En 2006, alors que le groupe est déjà célèbre, le trio de Diam Min Tekky prépare la sortie de leur premier album et une tournée internationale couronnée de succès. En 2007, les jeunes à la verve déroutante lâchent une bombe musicale, Gonga (vérité), qui couronne une aventure militante regroupant des jeunes aux idées banlieusardes qui refusent la soumission, la haine et l’injustice. Dans cet album aux sonorités enchanteresses, on retrouve Ousmane Gangué, Noura Mint Seymali, Guélongal Ba et le lead vocal du Super Diamono, Oumar Pène. Le succès est grandiose.
Si, aujourd’hui, Diam Min Tekky bénéficie d’une certaine aura et sympathie grandissante de la part de la jeunesse mauritanienne, ça l’est moins davantage auprès des grandes personnes qui pensent que ces jeunes sont insolents et en font quelques fois trop. Mais, quoiqu’il en soit, Diam Min Tekky, aimé ou pas, est une référence sur la scène du rap en Mauritanie.
Ce groupe qui a réussi paradoxalement à faire voler en éclats certains préjugés ne manquent pas de perspectives. Comme le Festa 2H à Dakar, le groupe compte bien reproduire des évènements de cette envergure dans la banlieue de Nouakchott notamment à Sebkha. Cet évènement portera le nom de «Hip Hop banlieue ». Une manière de revigorer le rap en Mauritanie et de cimenter la fidélité qui existe entre les rappeurs et le public.
Lamine Cheikh Ba : De l’écolier de la rue au bad boy du quartier
Si on devait lui coller une étiquette, on dirait qu’il est un vin en devenir, difficile à goûter, quelquefois même insupportable à avaler. Lamine Cheikh Ba alias Honey est un jeune passionné et bien décidé à s’imposer. Il incarne princièrement le printemps de la vie à Diam Min Tekky.
Du haut de ses 25 ans, il assure déjà et n’est pas du genre à se plier comme un roseau. Et, quand il monte sur une quelconque scène, c’est pour mieux dynamiter et sans gants les cimenteries de l’hypocrisie et de l’injustice sociale. Né à Nouakchott en 1984, dans l’un des quartiers les plus populaires de Nouakchott en l’occurrence le sixième arrondissement, il est tombé dans le Rap quand il était tout p’tit.
Aujourd’hui, malgré tous les problèmes que rencontrent son quartier natal- problèmes d’insécurité, de drogue, d’assainissement, difficultés d’accès à l’eau, taux de chômage très élevé, problèmes d’urbanisme…-, il reste profondément attaché à son milieu naturel qui l’a vu grandir et devenir rappeur. Plein de joie de vivre, mais aussi, farceur, Honey (un sobriquet qui lui sied bien d’ailleurs) donne tout sens à son "sixième".
Et, ses rimes sont autant de témoignages à charge contre les pouvoirs publics. Ça lui permet de décharger son mécontentement. Dans son groupe, Diam Min Tekky, il est un ovni. On dit de lui qu’il est gonflé, arrogant et suffisant. Bref, un enfant bien gâté, un pur produit de la banlieue qui se gausse de tout et s’en fiche pas mal au passage des critiques, des remontrances et autres moyens de honnir.
Presque aux antipodes de son surnom de scène, Honey qui signifie en français miel. Un mordu qui se paye souvent le luxe de la dénonciation et du courage. Très tôt, il quitte les bancs de l’école. Gommant définitivement les études de sa tête et ignorant tout ce qui va l’attendre au virage, Lamine Cheikh Ba, par ailleurs cadet de sa mère, va devenir un écolier de la rue. Il y apprendra et découvrira les rudes réalités de la vie et les problèmes de son quartier et de son arrondissement.
Cette parenthèse de sa vie va le marquer à jamais aux fers rouges. Et, à partir de là, il va commencer à prendre conscience du milieu qui l’environne et de sa situation précaire. Au fil des années, le Rap va avoir raison sur lui et fera son école plus tard à Diam Min Tekky. Il comprend très vite que c’est le seul moyen de se faire entendre.
Aujourd’hui, sérieux, responsable, conscient, il semble mesurer l’importance de son statut de leader d’opinion. Converti jusqu’au bout des ongles, il veut relever le défi. Montrer par la même circonstance que le Rap est aussi une autre école de la vie. La preuve ? "J’ai beaucoup voyagé, rencontré de grands musiciens et fait surtout d’intéressantes découvertes", confie-t-il. Son intelligence s’est aussi bonifiée. "Je passe tout mon temps à écrire", dit-il.
Hier bad boy, aujourd’hui insoumis (tenez-vous bien, il a toujours refusé de trimer), Honey, qui avoue avoir tout fait dans la vie et qui est un passionné de 50 cent, de Bouba, de Diams entre autres rappeurs, se veut l’incarnation d’une nouvelle authenticité musicale. Aujourd’hui, avec la maturité, il est passé maître dans l’art de raconter des anecdotes et de donner notamment des conseils. "Tout ce qu’on entreprend, on doit le faire avec beaucoup de conviction", souffle-t-il. N’est-ce pas là une preuve que le Rap l’a mué ?
Ousmane Sow : Celui qui a failli ne pas devenir rappeur !
Alors que rien ne le prédestinait à chanter, il a réussi, au fil des années à se tailler une place de leader au sein de Diam Min Tekky et dans le mouvement du Hip Hop où il est souvent difficile de se faire accepter et aimer par le public constitué de jeunes déjà abreuvés à satiété par les beats du rap français, américain ou sénégalais.
Il semble avoir bien retenu la leçon d’André Malraux qui disait : "être un homme, c’est transformer l’expérience en conscience". Parmi toutes ses qualités qui sautent aux yeux, la plus caractéristique est sans doute le militantisme.
Ousmane Sow né en 1982 à Nouakchott est avant tout celui dont les textes très engagés et revendicateurs ont marqué une bonne partie de la jeunesse mauritanienne. Avec un esprit serein, il appartient à ces gens qui portent des rêves, des aspirations et des utopies. Tout en lui rappelle la lointaine Jamaïque : ses dreads locks et son esprit lumineux. Il s’imbibe de toutes les musiques et notamment celle de Bob Marley, le reggae, une musique des Noirs de la Jamaïque au rythme très marqué.
Il fait tout par plaisir. Il aurait pu être un bon reggae man. Mais, il a décidé de sonner Rap. Longtemps, il a rêvé de devenir chanteur aux prises avec son environnement à savoir son sixième arrondissement. C’est là que l’instinct de ce futur musicien mâtiné de Mbalax et de musique traditionnelle (Baba Maal) va naître.
Sur le plan musical, Ousmane Sow n’est pas facile à étiqueter. Tantôt, on le retrouve dans le rayon Rap. Tantôt dans celui du reggae. Mais, c’est le Rap qu’il semble choisir pour mieux ressortir l’écho de ses états d’âme, ses frustrations, ses accès de mécontentement, son ras-le-bol contre un système social qui confine les individus dans un branle-bas de combat exténuant mais surtout dans une posture de manque de confiance et de traumatisme.
Certaines carrières musicales sont surprenantes. Celle d’Ousmane Sow va se bousculer lorsque lui et deux autres de ses amis (en l’occurrence Mar Ba et Lamine Cheikh Ba) forment le groupe Diam Min Tekky. Au bout de quelques années, le succès est grand. Mais, aujourd’hui, il semble bien avoir la tête sur les épaules.
"On est encore loin du bout du tunnel", insiste-t-il. Dès cette rencontre donc, il eut le sentiment de franchir une nouvelle étape de sa vie en découvrant le Rap. C’était l’époque des maquettes à 300 UM et des misères ! Mais, peu importe, se dit-il, car la voie à suivre est désormais tracée.
Quant à ses parents, c’est à peine qu’ils croyaient en ce qu’il était en train de faire. D’ailleurs, sa mère va tenir des propos désobligeants qui le feront souffrir dans son amour-propre, lui dont la vision des choses diffère de celle de ses progéniteurs. Au nom de certaines pesanteurs sociales, il est presque condamné à tout laisser tomber à l’eau. Je fais ce que je veux, se dit-il aussi, et advienne que pourra ! Presqu’au bord de la démence et du découragement, il suit à la lettre le précepte de Joseph Joubert selon lequel "ce qui est vrai à la lampe n’est pas toujours vrai au soleil".
Alors, convaincu qu’il a reçu une certaine instruction, il abandonne les études. Il exerce le métier de tailleur pour, dit-il, pouvoir subvenir à ses propres besoins personnels. Issu de famille modeste originaire du sud de la Mauritanie, il sait qu’il ne devra sa survie qu’à force de courage et de résignation. Au bout de deux ans, il commence à s’ennuyer et veut flairer du nouveau. Il sort et fréquente quelques jeunes de son quartier très branchés dans le milieu de la mouvance musicale du Rap à l’état embryonnaire en Mauritanie.
On est dans la fin des années 90. Le Rap français, sénégalais et américain inonde la Mauritanie en mal de rappeurs. Dans la rue, à l’école, dans les foyers, dans les boîtes de nuit, les jeunes s’abreuvent des textes des nouvelles têtes d’affiche du Hip Hop mondial. Tout est bon à consommer parce que ça leur parle directement. Les jeunes commencent à se libérer, à s’affirmer et surtout veulent devenir des rappeurs comme MC Solar.
C’est dans cette atmosphère qu’Ousmane Sow a embrassé la religion du rap-attitude. Par le prisme de ce genre musical, il s’enracine dans les réalités de son quartier et s’extirpe par la même occasion d’un environnement malsain où tirer des bouffées de fumée de cigarette et sombrer dans le banditisme était un acte anodin.
Aujourd’hui, Ousmane Sow est bien connu dans le milieu du Hip Hop de la Mauritanie. Il a fait de nombreux duos, participé à de nombreuses compilations et autres supports musicaux de sensibilisation comme sur le Sida. Et, pourtant, il a failli ne pas devenir rappeur. "Ma mère a toujours mal vu que je fasse de la musique qu’elle considérait comme étant une affaire de descendants de caste de griots", confie-t-il. Comme quoi, personne ne peut échapper à son destin. Et, il était qu’il en serait ainsi pour Ousmane Sow.
Mar Ba : L’inspecteur du Rap mauritanien ?
Son prénom sonne déjà comme un ras-le-bol. Aussi, il en dit long sur son côté impulsif, spontané, culotté et surtout révolutionnaire.
Né le 11 décembre 1980 à Nouakchott, Mar Ba alias Marino a grandi dans le populeux sixième arrondissement de la capitale. A la fois tonitruant, engagé et volcanique, son discours traduit un désir instinctif de redonner espoir et confiance aux offensés, méprisés et opprimés.
Paradoxalement, Mar Ba est une parole libre qui est là pour que les choses évoluent dans le bon sens. "Je regarde ce que les gens vivent et je le dis. Je suis prêt à tout perdre pour plaire à tous ces gens qui n’ont pas droit de cité en Mauritanie", râle-t-il.
Certaines histoires humaines n’apprennent pas grand-chose ou tiennent à peu de choses. Celle de Mar Ba ressemble peu à celles de ses comparses. Son père, Ciré Ba, un grand commis de l’Etat de qui il tient son caractère ardent y est pour quelque chose. Celui qui voudrait qu’on l’appelle désormais Marino (comprenez par là le petit Mar) s’est très tôt voué exclusivement à la musique Rap. Une manière pour lui de mettre à plat les maux qui gangrènent la société mauritanienne très statique.
Bizarrement, il fréquentera l’école assez tardivement. "C’était très difficile pour moi de s’adapter" ; se souvient-il. «Je n’ai pas appris à compter avec des bâtonnets ni à lire l’alphabet », confie-t-il avec une once d’amusement. Simultanément, il entame une autre vie. C’est le langage musical que le petit Mar va choisir comme mode d’expression. Le rap, en particulier. Trois ans, plus tard, il abandonne définitivement les études et range dans les tiroirs de l’oubli cahiers, stylos, crayons, craies, chiffons et livres. «Parce que la musique commençait à prendre le dessus sur les études », explique-t-il.
Une décision prise volontairement mais qui ne sera pas du goût de son père. Et, pourtant, à l’école, il a toujours été un élève brillant et revenait de la maison avec de bonnes notes. Son père fera de tout son possible pour qu’il retourne à l’école. «Il ne pouvait pas comprendre que je quitte très tôt l’école », dit-il. Déçu, son père se résigna malgré sa désapprobation ! Mais, ne le pardonna pas d’avoir trahi son espoir. Néanmoins, son père comprit que tous les chemins mènent à Rome.
A cette époque, Mar Ba ne manquait jamais les concerts de Rap qu’on organisait ça et là dans la banlieue. C’est ainsi qu’il sera marqué par certains groupes de Rap et de rappeurs de Nouakchott tels que Positive Sans Complexe (PSC), Md Max, Laye B, Dj H, Bocar de BOB. Et, il s’arrangeait toujours pour être devant la scène pour mieux les admirer. «J’ai toujours rêvé de faire comme eux », se rappelle-t-il, conquis. «C’est un spectateur du rap qui est devenu l’inspecteur du rap mauritanien », assure-t-il.
Mar Ba, c’est la boîte à idées de Diam Min Tekky. Il appartient aussi à cette race humaine qui n’a pas sa langue dans sa poche. La preuve, il ne porte pas de masques pour dire souvent des choses très dérangeantes. La vie de la banlieue nourrit son inspiration. Et gare à celui qui voudrait lui contester son titre de porte-parole du Hip Hop mauritanien. Aujourd’hui, il estime que notre rap a besoin de grands coups de balais neufs pour la bonne et simple raison que, dit-il, «ça ne bouge pas !», en raison du manque de créativité et d’imagination de ceux qui composent ce mouvement. Le remède ? «Il faut oser faire et lorsqu’on ose, ça peut marcher », préconise-t-il.
En Mauritanie, la jeunesse raffole de ces personnes-là qui bouscule l’ordre des choses et leur renvoient la réalité de leur vécu. Cet admirateur de Jant B, de Pee Froiss, de Dj Awadi, de Tunisiano et qui ne piffe pas trop le rap américain très ponctué par le bling-bling en est une. Les problèmes que vivent la banlieue et notamment son quartier ont fini par installer la rage dans son cœur.
«Chaque fois que je me réveille, je vois des choses qui me blessent. Trouvez-vous normal qu’une personne aille chercher de l’eau ailleurs pour se débarbouiller avant d’aller au travail ? D’autres qui n’ont pas de quoi mettre sous la dent ? », se demande-t-il. «On est dans un milieu où est obligé d’être ce qu’on est. Ce qu’on voit, nous pousse à tout », se justifie-t-il sans détours.
Loin d’être du genre à se faire rabattre le caquet, Mar Ba est convaincu qu’il est investi d’une mission divine. «Je suis né pour dire la vérité et dénoncer ce qui ne va pas », affirme ce piètre en anglais dont il ne connaît que «How are You ? » et «fine » et qui se débrouille pas mal dans la langue de Victor Hugo. Quand on veut l’écorner, il n’hésite pas à défendre vaille que vaille son image de croyant pratiquant jusqu’au bout des ongles.
Sur scène, il est époustouflant. Certaines langues déliées disent même qu’il sniffe et se revigore de l’alcool. «Sur la tête de ma mère, je ne l’ai jamais fait. Je n’ai jamais fumé de l’herbe. Je n’ai jamais picolé dans ma vie. Je suis un artiste lucide », se défend-il.
De 1997 à 2009, Mar Ba n’a pas cessé de connaître avec Diam Min Tekky un succès bœuf. Et, aujourd’hui, il compte rattraper le temps perdu en reprenant les études et surtout apprendre l’anglais et même…le chinois.
Il a bien raison d’inscrire sa devise «celui qui ne risque rien n’a rien » sur son front. C’est ce goût du risque, d’ailleurs, qui le pousse souvent à dénoncer certaines conditions de vie des populations. N’est-ce pas là une preuve de montrer qu’ «il y a beaucoup de choses à dire dans le Hip Hop mauritanien » ? Sacré Mar !
Babacar Baye Ndiaye